LE géNiE Du RhIn



Moi c’est Mickaël, mais ma mère m’appelle Mickey depuis qu’on est allés à Disneyland, il y a trois ans. Moi j’espère juste que c’est pas à cause de mes grandes oreilles qu’elle a changé mon prénom… Mon père, il répète que ça date de quand j’étais petit parce que j’avais toujours « la morve au nez » mais personne ne l’écoute mon père… Et puis j’ai dix ans quand même maintenant…depuis deux jours !

Ma grand-mère, qui m’appelle toujours Mickaël, s’est mise dans la tête de m’instruire, à travers mon cadeau d’anniversaire.


- Pour tes parents, « c’est trop tard » qu’elle dit, mais toi, c’est le moment ou jamais de te faire de découvrir des paysages ailleurs que sur ton écran d’ordinateur. Je vous emmène faire une croisière d’une semaine sur le Rhin.

 

CARTE DU RHIN

 

 

 Elle était maîtresse d’école avant, ma grand-mère et elle veut toujours nous montrer des choses intelligentes…

 

 Ma mère a sauté de joie. Mon père a fait la gueule :

 

 - Et le magasin et les clients ? Qui est-ce qui va s’en occuper ? il a grogné pas content.

 

 

 

 Moi je crois qu’il n’a pas envie de passer une semaine entière avec maman et encore moins avec la mère de maman qui ne lui a jamais pardonné d’avoir repris l’affaire de son père.


Boyaudier de père en fils, mon pauvre Marcel, pourquoi pas décrotteur pendant que vous y êtes ? » avait-elle répondu quand il lui avait demandé de se marier avec maman. (Ça, c’est maman qui me l’a raconté, parce que Grand-mère, elle dit qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de se marier. Je savais pas qu’on pouvait être obligés)


La réflexion de Grand-mère avait jeté un froid, suffisamment froid pour durer depuis douze ans. C’est pour ça que maintenant maman se méfie et qu’elle a mis pleins de pulls dans ma valise. Elle a peur que je m’enrhume sûrement. Je suis fragile depuis que je suis petit, allergique au lait de vache il paraît… Du coup maman non seulement me fait boire du lait d’ânesse (berkkk !) depuis que le médecin lui a dit :Il faut l’asinifier ce petit, sinon il sera toujours malade… mais elle a élargit la prescription et je n’ai même pas le droit d’approcher une vache !

 

******

 

On est sur le bateau depuis hier soir. Grand-mère a choisi le Rhin parce c’est romantique et que ça lui rappelle Grand-père quand il lui a demandé de se marier avec elle.

Il était instituteur, « comme moi », a t-elle dit bien fort et fièrement, en regardant papa du coin de l’œil d’un air mauvais.

Comme on ne savait pas trop quoi faire ensemble hier soir, Grand-mère m’a pris dans sa cabine et on a joué au jeu des mots : les plus courts, les plus longs, ceux qui veulent dire deux choses à la fois, ceux qui s’écrivent pareils mais qui veulent pas dire pareil… On a bien rigolé surtout quand elle m’a demandé :


- Quel est le mot le plus long de la langue française Mickaël ? (j’aime bien quand il dit Mickaêl en ralentissant sur sur a-ël, je l’entends pas souvent alors je trouve que ça fait beau)


- Euh...


Anticonstitutionnellement.


- Anticon quoi ? Elle a éclaté de rire et moi aussi.

Après elle a sorti son dictionnaire et m’a montré.

 

chateau mannheim

 

Ça, c’était hier, car aujourd’hui au programme, il y a la visite du château de Mannheim. Le capitaine du bateau, qui est allemand, nous a donné des documents, à nous mais aussi à tous les gens qui sont avec nous sur le bateau, des choses qui racontent la légende du « Rheingeist », le génie du Rhin qui se promène dans les jardins du château à la nuit tombée, à la recherche des coupables dont l’âme n’est pas pure, et qui les abandonne ou les punit. Ça me fiche la trouille cette histoire… mais Grand-mère a l’air d’y tenir à cette excursion, et quand elle veut quelque chose…

Le capitaine nous a fait descendre du bateau et nous a donné l’heure du rendez-vous pour le retour.


Verabredung in zwei Uhr fünfzehn  (rendez-vous dans deux heures quinze)


-A quelle heure ? a dit mon père .


Pff !!! il a dit « rendez-vous dans deux heures cinquante », a répondu Grand-mère, énervée.


Vous êtes sûre ? demande papa.


Pourquoi? depuis quand un boyaudier connaît-il les langues étrangères ? elle a dit en lui tournant le dos.


Ben ça va être gai, je me dis…

 

*********

 

On a passé deux heures super sympas, mais c’était beaucoup trop court pour visiter le château en entier, il est immense et ça m’a fait penser quand la maîtresse nous avait emmené voir celui de Versailles, l’année dernière. Quand je pense que des princes ont habité ici, ça me fait tout bizarre.

Maman traîne un peu les pieds parce qu’elle a mis des chaussures à talons sous prétexte qu’elle «  ne peut pas marcher avec autre chose » (pourtant à la maison, elle a toujours ses chaussons, mais il vaut mieux pas que je le dise, elle va pas aimer). Papa voudrait rentrer visiter l’intérieur du château. Grand-mère a décidé qu’on irait plutôt voir le musée, la cour pavée et les jardins.

On a donc visité le musée, la cour pavée et les jardins.

 

A quelle heure déjà le rendez-vous ? demande papa


-A dix-sept heures cinquante, on a le temps. Regardez-plutôt la beauté de ces jardins, vous n’en reverrez pas de sitôt à Sarcelles, a ajouté Grand-mère.


Papa a fait la moue, vexé et Maman s’est inquièté :


- On ferait peut-être mieux de rentrer avant la nuit.


Certainement pas,répond Grand-mère ( elle est pas toujours commode ma mamie) on va aller au moulin là-bas, ils élèvent des ânes et nous allons pouvoir acheter du lait pour le gosse.


Oh non pitié ! )Je croise le regard de mon père. Il a l’air de dire la même chose que moi.


Au lointain, on entend le bruit de la sirène du bateau. La même sirène qu’hier quand on a embarqué.


- Le bateau est parti sans nous ! Je m’écrie affolé.


Mon père et ma mère sont catastrophés et se tournent vers ma grand-mère


Alors comme ça vous connaissez l’allemand ? mon œil ! Vous avez confondu deux heures quinze et deux heures cinquante ! Crie mon père très en colère pour une fois.


La bouche ouverte, je regarde ma grand-mère prise pour la première fois en flagrant délit d’erreur.


Ferme ta bouche Mickaël tu vas prendre froid. Et alors nous ne sommes pas perdus que je sache. Le capitaine va forcément d’apercevoir qu’il lui manque des passagers et il reviendra nous chercher demain, dit-elle d'un ton sans réplique.


Vous voulez toujours avoir raison Jeanne, rétorque mon père, maintenant c’est moi que vous allez écouter. On va aller jusqu’au moulin là-bas et demander l’hospitalité pour la nuit.


Waouh !!! Papa ose commander grand-mère, incroyable !


Ma mère renifle dans son coin mais elle aussi regarde elle papa bizarrement.

Curieusement grand-mèche se tait.

 

Nous arrivons devant le moulin en question, après avoir traversé un pré où paissent tranquillement des ânes. Rien que de penser au lait d’ânesse ça me donne envie de vomir.

Mon père toque à la porte d’un poing ferme et quelques minutes plus tard, celle-ci s’ouvre sur un vieillard à la longue barbe blanche appuyé sur un bâton. Il est vêtu d’un grand manteau gris qui le fait paraître encore plus petit.


- Was wollen Sie ? demande t-il d’une voix chevrotante tout en jetant un regard au dessus de l’épaule de papa.


Le bateau est parti sans nous, coupe ma grand-mère en poussant mon père. Cet idiot de capitaine nous a laissé sur place !


Plus exactement, c’est nous qui nous sommes trompés d’horaire. Pourriez-vous nous accorder l’hospitalité pour la nuit s’il-vous-plait ? Corrige mon père.


Le vieil homme n’a pas l’air de comprendre mais nous fait entrer. C’est juste une pièce sombre avec une grande cheminée. J’avance et là, j’aperçois une photographie posée sur le dessus de la cheminée. C’est la même tête que sur la photo du document sur les légendes du Rhin que nous a distribué le capitaine !


_ C’est qui ? On dirait le Rheingeist, le génie du Rhin... Je demande inquiet.


On s’en moque Mickaël,dit ma grand-mère. Il s’agit d’une légende et de toute façon ce vieux ne comprend rien à rien, le principal est qu’il nous donne le gîte et le couvert. De toute façon il n’a pas le choix. Moi je ne bouge pas d’ici.


Un éclair curieux brille dans les yeux du propriétaire du moulin… comme s’il comprenait ce que dit Grand-mère.


Et puis poussez-vous Marcel, vous êtes totalement inefficace comme d’habitude. Ma pauvre fille dit-elle en se tournant vers Maman, je ne sais pas ce qui t’a pris d’épouser un type pareil, tu aurais mieux fait d’avorter et on n’en aurait pu parlé.


Ma mère s’est rapproché de moi et m’a pris par les épaules.


N’écoute pas Mickey, elle a peur de passer la nuit dehors alors elle dit n’importe quoi.


Maman est gentille comme d’habitude, toujours prête à excuser les uns et les autres.

 

L’homme prend alors la parole dans un français impeccable teinté d’un léger accent :


- Ma maison est la vôtre pour la nuit, dit-il en s’adressant à mes parents.


Puis le vieil homme lève son bâton en direction de ma grand-mère :


Quant à vous, vous dormirez dans l’entrée, je vais vous donnez une couverture. Estimez-vous heureuse de votre sort, mon aïeul le Rheingeist, dit-il en montrant la photo sur la cheminée, vous aurait précipité dans les eaux tumultueuses du fleuve pour vous faire payer votre méchanceté envers votre gendre et votre insolence à mon égard. Je me contenterai de vous faire passer une nuit inconfortable qui vous servira de leçon. Je vais appeler le capitaine du bateau qui est mon frère, et demain matin il viendra vous chercher.


Pendant toute la soirée, le vieil homme nous raconte les légendes du fleuve, celle du génie déguisé en vieillard qui poursuit les coupables de ses châtiments. Ma nuit est brève et peuplée de petits génies qui font des grimaces à ma grand-mère.

 

Le lendemain matin, une sirène nous réveille, et une demi-heure plus tard, nous voguons vers la destination suivante.

Le reste de la croisière est très calme. Je passe la majeure partie de mon temps près du capitaine qui me raconte les contes du Rhin dans un français aussi impeccable que celui de son frère.

Maman regarde Papa « plus comme avant » et tous les deux, font de belles excursions ensemble.

Grand-mère refuse toutes les expéditions sous prétexte qu’elle a mal au dos après la nuit d’enfer passée dans le moulin. Elle parle peu. Papa parle beaucoup.

Maman et moi on l’écoute….